En lien avec la Matinale de la CFDT du jeudi 9 novembre, cet article vous apporte un éclairage sur la notion de Burn out.
Lire également l’article du Moniteur du 20 juin 2014 : le burn out, comment s’en sortir ?
Le 9 février 2017, le rapport parlementaire de Gérard Sébaoun et Yves Censi sur « L’épuisement professionnel ou burn out : une réalité en manque de reconnaissance » a été rendu public.un rapport sérieux et documenté qui permet enfin d’avancer des propositions pour la reconnaissance des maladies psychiques professionnelles.
Burn out : du plaisir de travailler à l’épuisement professionnel
Juin 2014
Partie 1 : la spirale infernale du burn out
Il y aurait en France 3,2 millions d’actifs qui seraient en « surengagement », situation les disposant à basculer vers le burn out, si l’on en croit l’étude de notre confrère Technologia sur le sujet, parue en ce mois de mai 2014. Mais pas n’importe quel type de burn out : le terme, désormais largement vulgarisé, est utilisé le plus souvent à tort et à travers, pour exprimer tout autre chose (charge de travail ponctuelle, surmenage passager voire dépression). La définition qu’en donnent les scientifiques (Enzmann) précise que le burn out (syndrome d’épuisement professionnel en français ou SEP) est « un état d’épuisement physique, émotionnel et mental résultant d’une exposition à des situations de travail émotionnellement exigeantes » ; le phénomène est dûment documenté par les scientifiques et praticiens de la santé mentale. Ceux-ci s’accordent sur 5 composantes clés pour caractériser le SEP :
Des symptômes physiologiquement identifiés, comme la fatigue physique et mentale dès le lever évoluant vers l’épuisement voire l’effondrement et la dépression réactionnelle ;
Des symptômes spécifiques physiques (troubles du sommeil, insomnies fréquentes, douleurs articulaires et tendineuses, céphalées, migraines, malaises, vertiges, problèmes dermatologiques, troubles cardiovasculaires…), mentaux (émotionnels : perte de contrôle des émotions, fluctuation de l’humeur, angoisses, idées de persécution, irritabilité… cognitifs : perte d’enthousiasme et d’idéal, désillusion, ruminations professionnelles, idées fixes, doutes, troubles de concentration et de mémoire, difficulté à résoudre des tâches connues, difficultés à prendre des décisions…) et comportementaux (accès de rage, attitude de retrait sur soi, distanciation vis-à-vis d’autrui, isolement social, conflits conjugaux et familiaux, cynisme, opposition au changement, augmentation de comportements à risque, négligence des activités de loisir, négligence vestimentaire et de l’hygiène corporelle, consommation de substances nocives pour autostimulation…) ;
Une affection directement rattachée au travail ;
Des travailleurs préalablement reconnus comme performants et sans passé psychopathologique particulier ;
Une baisse inéluctable de leur efficacité et de leur performance.
Le processus psychopathologique du SEP se déroule en quatre phases. Préalablement, le travailleur est pleinement engagé dans son travail. Il ressent une satisfaction intense à travailler, sa valeur travail et son idéal de soi professionnel sont forts : vigueur, implication, absorption caractérisent son état d’esprit, son image de soi (ressources personnelles telles qu’il se les représente) lui laisse à penser qu’il est en mesure d’accepter et de gérer les aspects négatifs de son travail. La deuxième phase se caractérise par le surengagement ; du fait d’un travail de plus en plus excessif, le travailleur commence à subir l’envahissement de sa sphère privée, concomitamment à la diminution du plaisir à travailler et à l’augmentation proportionnelle de son anxiété car son idéal de soi devient de plus en plus inatteignable, il commence à baisser en estime de soi (autoévaluation de sa capacité à atteindre son idéal de soi professionnel). Puis vient la troisième phase d’acharnement, phase de rupture : le travailleur s’obstine frénétiquement pour faire face à la surcharge de travail. Il ne parvient plus à atteindre les résultats permettant d’accomplir son idéal de soi, son estime de soi s’effondre, son image de soi commence à être altérée. Il ne ressent plus aucun plaisir à travailler, son anxiété devient importante : le travailleur subit des niveaux très élevés de travail excessif et compulsif. Si le travailleur dépasse ce stade, il bascule alors dans la phase d’épuisement : le travailleur subit un effondrement intérieur, il peut décompenser de façon aigue. Son estime de soi est anéantie, il a perdu tout espoir de surmonter ses difficultés professionnelles. Son retrait émotionnel est quasi-total, il manifeste un cynisme excessif, son manque de flexibilité est systématique face à toute demande de changement, il est dans l’impossibilité d’exprimer son incapacité de continuer à faire son travail. Le travailleur n’est plus capable d’empathie, de compassion, de soutien envers autrui, qu’il réduit à l’état d’objet. Son image de soi étant altérée, il se sent inutile, bon à rien, mauvais à tout. Il peut alors basculer dans la dépression réactionnelle, voire tenter de se suicider.
12,6% de la population active serait ainsi en surengagement, i.e. la deuxième phase du processus décrit ci-dessus. Ces travailleurs cumulent travail excessif (surcharge de travail chronique et/ou intense) et travail compulsif (exclusivité du travail au détriment des autres sphères de vie). Bien que n’étant pas encore dans la phase de rupture, ils présentent un risque élevé de développer un syndrome d’épuisement professionnel (SEP, équivalent français de burn out). Ainsi, plus d’un travailleur sur 10 vit son travail comme une obligation et non comme une possibilité d’engagement positif ; il oscille entre hyperactivité et abattement, l’anxiété prenant largement le pas sur le plaisir au travail, alimentant son mal-être. Cet état entraine un sentiment d’inefficacité personnelle, le travailleur a tendance à reprendre à son propre compte les failles de l’organisation du travail et de prendre sur lui pour les combler, ce qui nuit à sa performance et menace sa santé. Ce sentiment d’incapacité est source de stress. Ce stress prolonge augmente le risque de conduire le travailleur à une rupture d’adaptation, révélant un déséquilibre entre les exigences professionnelles de son employeur et ses ressources. A ce stade du processus de SEP, il est encore temps d’agir. Car si l’exposition perdure, l’individu bascule du côté obscur du burn out, épuisant toutes ses ressources pour tenter de faire face, il accroît fortement la probabilité que s’installe un état plus nocif, l’épuisement professionnel avéré et des pathologies associées : maladies cardio-vasculaires ou dépression pour les plus graves, du fait de son mal-être persistant
Partie 2 : Prévenir le burn out, avant qu’il ne soit trop tard…
Pourquoi les entreprises ont-elles intérêt à se pencher sur le SEP ? Pour au moins deux raisons : offensive et défensive. Offensive, afin de développer le bien-être des salariés, car il a été démontré qu’il augmente leur performance et protège leur santé ; défensive, afin d’éviter de se retrouver exposé juridiquement du fait ne pas avoir respecté ses obligations en matière de santé au travail. Nous commenterons particulièrement cette deuxième raison, ayant longuement et à plusieurs reprises développé la première raison dans d’autres dossiers au sein de ce blog. Puis nous développerons les actions de prévention possible du SEP.
Lorsqu’un salarié subit un SEP entraînant de réelles atteintes à son intégrité (santé ou sécurité), il est en droit de saisir le tribunal des affaires sociales (TAS) pour intenter un procès à son employeur afin de faire reconnaître sa responsabilité. A ce stade, environ 30% des procès débouchent sur une reconnaissance du caractère professionnel de l’atteinte à la santé ou à la sécurité. Le salarié lésé obtient alors des indemnités journalières, la prise en charge de ses frais médicaux, et selon le niveau d’incapacité professionnelle, l’octroi d’une rente viagère cumulable avec sa retraite. Le processus judiciaire peut continuer si le salarié décide de faire assigner son employeur pour faute inexcusable. Le juge étudie alors document unique d’évaluation des risques et toutes informations lui permettant d’évaluer les manquements de l’employeur aux obligations de moyens et de résultats relatives à la prévention de la santé au travail.
Si la faute inexcusable est reconnue, la victime obtient alors une majoration de sa rente, payée par l’employeur qui peut aller jusqu’à son doublement. Le salarié lésé obtient également la prise en charge de tous ses préjudices (moral, physique, etc.). Le montant des sommes peut alors devenir particulièrement important : une incapacité professionnelle de 5% donne lieu à l’attribution d’environ 8 à 10.000 euros ; une incapacité de 50 % peut passer de 80 à 300.000 euros et les préjudices aux tiers peuvent aussi être pris en charge. En cas de burn out débouchant sur le suicide su salarié et que celui-ci est reconnu comme accident du travail, le conjoint perçoit une rente fondée sur le salaire du défunt ; les enfants sont eux aussi indemnisés de la perte de leur parent en raison du préjudice subi. Enfin, la reconnaissance de l’origine professionnelle du SEP a une incidence forte sur les taux de cotisation de l’entreprise en ¨fonction du taux de gravité. Par exemple, un employeur de plus de 250 salariés qui subit l’accident mortel de l’un de ses employés voit son compte majoré de 380.000 euros ; si la faute inexcusable est reconnue le montant peut grimper jusqu’à 500.000 euros !… Ces situations, exceptionnelles il y a encore une dizaine d’années, ont tendance à se développer. Depuis 2009, ce type de procès a été multiplié par 10 et représentent actuellement plus de 20% des différends d’ordre professionnel. Le nombre de recours pour faute inexcusable est passé de 400 en 1999 à plus de 10 000 en 2012.
Les entreprises, de par leurs obligations de moyens et de résultats en matière de santé au travail, disposent de trois types d’actions préventives en matière de SEP. En prévention primaire, les employeurs se doivent de diagnostiquer les causes et les conséquences du burn out pour en faire un état des lieux rigoureux et mieux agir pour l’éradiquer. Commençons par l‘évaluation des conséquences qui pèsent sur les salariés, afin de repérer ceux qui sont susceptibles de basculer vers l’épuisement professionnel. Rappelons que statistiquement selon la loi des grands nombres, environ 12% de salariés étant susceptibles d’être concernés, il est primordial de pouvoir identifier rapidement ce groupe important de salariés surengagés avant qu’ils ne basculent en phase d’acharnement. Il existe des échelles d’évaluation, des méthodes et des praticiens ad hoc (seuls les psychologues, médecins du travail et psychiatres sont habilités à intervenir, il faut absolument proscrire ceux qui par exemple s’improvisent « coach en burn out sans être dûment diplômés) garantissant la pertinence du diagnostic, le respect de l’anonymat des salariés et de la confidentialité des données. Dès lors, les salariés pourront être pris en charge au titre de la prévention tertiaire comme nous allons le voir plus bas.
Mais cerner les conséquences ne suffit pas : il s’agit également d’établir le diagnostic des causes organisationnelles qui ont engendré les conséquences ci-dessus. Car si elles perdurent, même si les conséquences sont traitées, immanquablement ces dernières ressurgiront : s’il est important de faire baisser la fièvre, il faut en éradiquer la cause pour qu’elle ne revienne pas tourmenter les salariés. Le diagnostic, s’il est, là encore, établi par des experts certifiés, doit permettre de révéler les causes organisationnelles ou facteurs primaires qui menacent la santé des salariés. Ces facteurs doivent être supprimés, ou tout du moins, atténués. Pour ce faire et pour cadrer avec l’article 12 de l’Accord national interprofessionnel relatif à la Qualité de vie au travail signé le 19 juin 2013 qui incite au dialogue professionnel, il est fortement conseiller d’associer les salariés à la recherche de solutions correctives pour supprimer ou atténuer les facteurs organisationnels qui génèrent du burn out.
En prévention secondaire, il est fort utile de former les managers à la prévention du SEP, tant sur le volet de leur activité (pour apprendre à dimensionner la charge des activités de leurs collaborateurs) que sur celui de leur gestionnaires d’êtres humains (pour comprendre comment la mécanique humaine et susceptible de « surchauffer ») (pour voir notre programme, cliquer ici). Il est tout autant utile de former les collaborateurs pour qu’ils apprennent à gérer leur capital bien-être et connaissent les pièges du SEP qui peuvent surgir au quotidien (pour voir notre programme, cliquer ici). Enfin, au titre de la prévention tertiaire, il faut prévoir de proposer un programme de soutien psychologique afin d’accompagner les salariés en situation de surengagement ou pire d’acharnement, de manière à ce qu’ils guérissent des conséquences subies, tout en apprenant à se départir des causes personnelles, complémentaires aux causes organisationnelles, qui ont favorisé chez eux l’irruption du processus de SEP, contrairement à leurs collègues proches