Tous les deux ans, le Rapport sur les inégalités en France dresse un panorama complet organisé autour de cinq grands thèmes (revenus, éducation, travail, modes de vie, territoires). Nous y analysons les inégalités entre catégories sociales, entre femmes et hommes, liées à la nationalité ou encore à l’âge. Plus de 200 tableaux, graphiques et infographies sont analysés et accompagnés de définitions et d’explications simples. Composé de données et de textes clairs, il est destiné à un large public.
Pour sa troisième édition, il apporte des clés de compréhension sur les écarts de situation dans la population, en France. De quoi éclairer les tensions sociales qui ont, entre autres, alimenté le mouvement des « gilets jaunes ».
Les inégalités sont au cœur des tensions sociales, exacerbées par plusieurs années de stagnation du niveau de vie des plus modestes et de politiques favorables aux plus aisés. La menace de la mise en place d’un régime autoritaire est de plus en plus grande. Les revendications des « gilets jaunes » témoignent du sentiment d’abandon des couches populaires et d’une partie des classes moyennes, conséquence de la gourmandise toujours plus grande des catégories privilégiées. Pour éviter que notre démocratie dérape, nous devons lutter pour davantage de justice sociale. Et pour cela, il faut un diagnostic solide.
Adapter les politiques publiques
« Ce rapport traite de la question centrale des inégalités. Grâce à ces données fiables, on peut adapter les politiques publiques en conséquence », a exposé en préambule Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. “De quoi objectiver les tensions apparues ces derniers mois dans la société française (…) et de voir si les réponses apportées sont de nature à enrayer le creusement des inégalités”, a-t-il pointé.
Les chiffres comme base argumentaire, c’est le principal atout de ce rapport. Comme le rappelle Louis Maurin, directeur de l’Observatoire : « la France n’est pas le pays moins bien classé en termes d’inégalités ». Mais les manifestations des « gilets jaunes » lui apparaissent comme une réponse à « une vague de mépris social ».
A gauche, comme à droite de l’échiquier politique, des boucs-émissaires surgissent dans les discours sous les termes de « supers riches » ou « d’assistés ». Les conclusions du rapport apportent un outil au débat public pour « trouver des réponses politiques à ces écarts ». Passage en revue.
Stabilisation à court terme mais creusement à long terme
- Inégalités de revenus :
La situation pourrait sembler s’améliorer, puisque depuis 2013, la tendance est plutôt à la stabilisation en termes d’inégalités de revenus. Néanmoins, on est loin d’avoir rattrapé la progression des années antérieures, notamment dans les années 2000.
Sur le long terme, les inégalités ne se réduisent donc pas, au contraire : « Sur dix ans, l’écart en revenu annuel entre les des 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres s’est accru de 10 000 euros », a rappelé Louis Maurin.
De plus, ces chiffres n’intègrent pas les mesures prises par le gouvernement Macron ; si le bas de l’échelle des revenus a pu bénéficier d’une hausse des minima accordés aux personnes handicapées et de la prime d’activité, le haut de la pyramide a profité de baisses d’impôts.
« En fin de compte, il est très probable que les mesures en faveur des plus riches l’emportent sur l’amélioration des niveaux de vie des plus pauvres et que les inégalités de niveau de vie aient recommencé à augmenter », relève l’Observatoire dans son rapport.
- Education :
« Non, l’école n’augmente pas les inégalités. Sans l’école française, les inégalités seraient démultipliées », a rappelé Louis Maurin. Mais « le système scolaire français reste formaté pour la réussite des enfants des classes sociales favorisées, dont les parents disposent des bons diplômes pour comprendre les codes de l’école », pointe le rapport.
La part des enfants de milieux populaires se réduit tout au long de la scolarité : ils composent 12% des étudiants de l’université, 7% des classes préparatoires et 3% des élèves des écoles normales. Ils sont toutefois un peu plus présents parmi les élèves de BTS (ils sont passés de 21,3% à 24,1% entre 2007 et 2017).
Point positif, la lutte contre le décrochage scolaire porte ses fruits, mais il reste encore 80 000 jeunes qui quittent le système scolaire chaque année avec un « bagage faible ».
- Travail :
Les indicateurs sont plutôt dans le rouge sur le marché de l’emploi. Ainsi, un actif sur quatre est en situation de mal emploi, soit huit millions de personnes qui n’ont pas la stabilité de l’emploi qu’elles recherchent : chômeurs, contrats précaires, inactifs souhaitant travailler… Et ce chiffre n’inclut pas les temps partiels subis (1,6 million de personnes).
« Pouvoir ou non se projeter dans la vie constitue l’une des fractures majeures de la société française », relève le rapport. Autre phénomène inquiétant : l’augmentation de la précarité (CDD, intérim, apprentissage) depuis 2014, après une stabilisation de près de dix ans. Le taux de précarité atteint 13,6% en 2017, contre 12% dix ans plus tôt.
France des grandes villes contre France périphérique
La question des territoires est également au cœur du rapport. Cependant, Louis Maurin appelle à la prudence : « parler de territoire ne doit pas invisibiliser la variable catégorie sociale ».
La carte de France des inégalités dressée dans le rapport vient contrecarrer une opposition souvent établie entre une France des grandes villes et une France périphérique. “Les plus pauvres, et l’étude de l’IAU sur l’Ile-de-France le montre bien, très majoritairement vivent dans les grandes villes ou dans les environs proches.”, a-t-il martelé. A titre d’exemple, le niveau de vie des 10% les plus pauvres est le plus bas dans les « villes-centres » où leur revenu maximal est de 778 euros par mois.
Et le déficit de services publics qu’on aurait tendance à localiser dans des communes isolées n’est pas l’apanage de la France rurale.
« Dans le cas d’un service public essentiel, la médecine, la Seine Saint Denis est aussi mal lotie que le Cantal. Le déficit de service public existe bien autant dans ces territoires que dans ces territoires de la France lointaine », a-t-il conclu.
Les dispositifs n’atteignent pas leurs cibles
Si la pauvreté ne se concentre pas exclusivement dans les zones périphériques, elle n’est pas non plus réservée aux quartiers dits « prioritaires ».
Moins d’un quart (23%) des personnes pauvres vit dans un quartier dit « prioritaire de la politique de la ville » selon l’Observatoire national de la politique de la ville. La raison est que seulement 4,8 millions de personnes y vivent, ce qui représente 8% de la population française.
Même constat pour l’éducation puisqu’à peine plus d’un quart (27%) des élèves défavorisés étudie dans des réseaux d’éducation prioritaire. Cela implique que ces dispositifs ne touchent pas les trois quarts des élèves défavorisés, scolarisés dans des établissements « classiques ».
Un constat qui veut encourager les politiques publiques à « agir bien au-delà » pour ces jeunes, peut-on lire dans le rapport.
Pour ce qui est du chômage, il semble s’abaisser lentement depuis 2015. Mais là encore, les territoires n’en profitent pas à niveau égal.
A Vitré (Bretagne) par exemple, le taux de chômage diminue peu mais son niveau est déjà bas. Au contraire, Maubeuge (Hauts-de-France), Prades (Occitanie) ou encore Istres-Martigues (Provence-Alpes-Côte d’Azur) affichent des taux de chômage situés entre 11% et 15% et ne profitent pas de la reprise. Les métropoles, de leur côté, ne font pas apparaître de dynamique spécifique et connaissent aussi des situations très contrastées.
(Source lagazette.fr)
Rapport disponible sur le site Observatoire des inégalités, en cliquant sur le lien ci-dessous :